French

ESSAIM DE CORINTHES

(Mazsola-rajzás)

Le moindre recoin de la maison recèle
Des raisins secs.
Ce qui adhère à la semelle – assurément pas
Une punaise : clic métallique faisant défaut –
Et agrippe le sol à chaque pas, eh bien voilà
Sans aucun doute c’est un raisin
Aplati en galette.
Une expérience assez commune, j’en conviendrais
Si ce n’était que – non sans vouloir vanter l’éclat
De l’humble ménage qui est le nôtre –
La bosse qu’on sent sous la nappe cirée
De la cuisine, la mouche qui orne le couvre-lit,
L’ingrédient principal de l’amalgame de cheveux,
De poussière, de trombones et d’écorces de tournesol
Extrait des fonds de tiroirs, et le surprenant ornement
De la brassière de bébé fraîchement repassée
S’avère être sans exception un ou des
Raisins secs.
On ne peut plus dernièrement ouvrir un livre
Sans y découvrir, nous narguant sur l’une
Ou l’autre page, le visage effronté
D’un raisin sec étalé. On en rencontre ici et là
Perdus dans la cavalcade colorée des légumes
De la soupe, et dernièrement un superbe
Spécimen est tombé de l’enveloppe trouvée dans mon courrier.
Je serais probablement le premier à m’étonner si soudain
Ils venaient à disparaître.
L’autre jour ils se sont mis à pleuvoir
On ne sait d’où sur mon épouse dans son bain
Un à un d’abord puis en grésil
De plus en plus fourni comme lorsque le vendangeur
Vide sa hotte. Comme autant de petites
Cicatrices grêlant sa peau perlée d’eau, il la recouvrirent
Toute.
Et moi qui ne suis pas très friand de fruits secs,
Et laisse d’habitude les enfants les becqueter
A ma place, eh bien cette fois-ci, que dire, je me suis mis
Moi-même à picorer sur le corps parcouru ça et là
D’un frisson cette poisseuse et opulente moisson
De raisins au parfum épicé-musqué.

Traduction de Kinga Dornacher

PRIERE GEIGNARDE

(Nyűgös imádság)

Aspire la moëlle de mes os
tends mes artères comme une corde
arrache mes ongles, un à un mes cheveux
prends ma force, fais-moi rouler par terre
comme un nourrisson baveux
que dans ma chair flasque
et plate telle une bourse vide
vienne mordre le mal
dessèche ma cervelle et fais-en
des cailloux qui tintent dans ma tęte
démontes-moi et reconstruis-moi
occupe-toi de moi
rien que de moi mon Dieu.

ELLE CHANGE SANS CESSE DE FORME

(Alakot vált untalan)

” La mer est ma langue maternelle ”
avais-tu dit, je crois.
Pour moi, elle est plutôt mon corps.
Ivresse vert-absinthe, roulement d’un profond violet,
sous un ciel soudain maussade d’Italie;
clameur glacée au Nord, la leçon
sans pitié que j’ai reçue, tandis que
le soleil imperceptiblement pelait
jusqu’à la chair crue le vin de mon corps;
croûte soyeuse de caillou à Nice,
lorsqu’un vague vagabonde est entrée
dans ma chaussure, elle lui allait bien
et nous y avons tenu tous les deux.
Et l’élan où il y va de la vie est important,
le fait qu’elle ne peut tenir (comme moi)
entre les deux rives, qu’à chaque instant
elle se rue sur la même tâche et s’enfuit
aussitôt en bondissant écumeuse
dans les hauteurs alors qu’elle devrait
se tordre par terre comme un malfaiteur
enveloppé dans une bâche de nylon turquoise.
Important qu’elle soit poisson et oiseau, pouliche
à l’aller et crabe au retour, qu’elle change sans cesse
de forme, mais de plus en plus elle-même.
Elle me rappelle Quelqu’un
qui des deux mains dilapide ce qu’il a,
jette contre la rive des perles, de l’argent,
pousse à l’extrême le fait d’être fidèle ou infidèle,
s’éloigne telle des bosses de chameaux dans l’infini,
puis se couche, petit chien, à tes pieds.

L’AUTRE COTÉ

(Túloldal)

De l’aute côté de la fenêtre
quelqu’un nettoie la vitre
D’abord elle devient plus opaque encore
l’image s’étale
revêtement de la saleté
Puis nous nous épurons
moi le voyant
et lui la vision
qui me cherchait jusqu’à présent
si ce n’est moi qui le cherchais
le nettoyais

BIENTOT L’AUTOMNE

(Ősz lesz)

Bientot l’automne, des oiseaux d’acier tombent
du ciel se heurtant l’un l’autre cliquetant tournoyant
tels les rouages usés d’une montre
la vitesse terrible rend incandescentes
les flèches d’Héraclès et gicle un sang métallique
à chaque aube le gel fouille de ses bâtons cloutés le tas
peut-être y a-t-il là-dedans des pièces encore
utilisables, peut-être cherche-t-il de la vieille ferraille
que l’on puisse refondre mais rien,
des instants rouillés qui filent, amas crissants
de carcasses sans âme

LE VEUF DU POETE

(A költő özvegye)

à ma mémoire

Je suis le veuf du poète
des larmes me viennent et je ramasse
de l’argent pour une couronne
dans mon encrier
la veine a gelé
je fais des projets
en vue d’une chambre de souvenirs
cérémonie et plaque de marbre
discours aussi
lecture d’acteur
événements divers
si je n’ai pas les moyens de faire plus
puisque poète ne suis pas
seulement le veuf du poète

DEUX HOMMAGES

(Két hommage)

MAX JACOB
DEHORS : PEAU CROÛTEUSE ET COULÉES DE ROUILLE
DEDANS UNE MULTITUDE DE GRAINES GLISSANTES
EMMAILLOTÉES DANS DU COTON BOURBEUX
LA LUMIÈRE D’ORANGE PLEINE LE TEND À EXPLOSER
Ô FRUIT TROP MUR DE DÉSIRS DE COURGE GROSSIERS
QUE VIENNE JÉSUS, ARTIFICIER DES ÂMES
QU’IL ME RENDE ENFIN INOPÉRANT

PIERRE REVERDY
A TRAVERS LA FENTE BUISSONNEUSE DES YEUX
DANS UNE TACHE DE SUIE MOUVANTE PLUS NOIRE
QUE LES MONTICULES DE CENDRE DES NUAGES
D’EN HAUT ME REGARDE SE REGARDE
PENDANT QUE LES RESTES D’UNE BOULE DE NEIGE QUI DESCEND
LE LONG DES FIBRES DES NERVURES DES BRANCHES D’ARBRES
ATTERRISSENT AVEC UN BRUIT DE MINUSCULES PÉTARDS
ENSUITE RIEN QUE LE VERTIGE AGRIPPANT LE FER GLACÉ DE LA RAMPE

TRADUCTIONS DE LORAND GASPAR ET SARAH CLAIR

LA VILLE DES SOSIES

(A HASONMÁSOK VÁROSA)

DANS LA VILLE DES SOSIES
PERSONNE N’EST LE MÊME
TES CONNAISSANCES APOSTROPHÉES
RIENT DE FAÇON DROLE EN HAUSSANT LES ÉPAULES
TU PEUX AISÉMENT PRENDRE UN PASSANT SE TENANT
DANS LA PORTE COCHÈRE POUR UN GARÇON DE BOUTIQUE
AINSI QUE DES MEMBRES DU PUBLIC POUR DES ACTEURS
TU NE PEUX SAVOIR SI L’HOMME QUI NETTOIE LES BUREAUX
N’EST PAS LE DIRECTEUR
PARFOIS C’EST LE BRANCARDIER QU’ON POSE SUR LA CIVIÈRE
ET IL ARRIVE QUE LE POMPIER PROVOQUE L’INCENDIE
LES POLICIERS PRENANT DES AIRS SE BATTENT
LES VERRIERS CASSENT LES VITRES
L’ÉLECTRICIEN VOLE DES CÂBLES
LORS D’UN ENTERREMENT IL SE PEUT MÊME
QUE TU PRÉSENTES TES CONDOLÉANCES AU DÉFUNT

FAIS BIEN ATTENTION DANS LA VILLE DES SOSIES
CAR TU PEUX VITE ÊTRE IMPLIQUÉ DANS QUELQUE AFFAIRE LOUCHE
LES GENS DANS LA RUE TE PRENNENT POUR UN CAMBRIOLEUR
OU UN VOLEUR À LA TIRE – ET PEUT-ÊTRE QUELQU’UN QUI TE CROISE
RECONNAÎT EN TA PERSONNE L’ASSASSIN DE SON PÈRE
IL ARRIVE MÊME QUOIQUE C’EST BEAUCOUP PLUS RARE
QUE TON PROTÉGÉ QUE TU N’AS JAMAIS PROTÉGÉ
TE SERRE VIGOUREUSEMENT LA MAIN LES YEUX PLEINS DE LARMES
C’EST UN LIEU DANGEREUX N’Y VAIS QUE LORSQUE
TU COMMENCES À OUBLIER QUI TU ES.

ETRE MAGICIEN

(BŰVÉSZNEK LENNI)

ETRE MAGICIEN EST AMUSANT
UNE FOIS RENTRÉ LE MAÎTRE JETTE TOUT DE SUITE
SA SERVIETTE QUI DEVIENT AUSSITOT
UNE ÉCHARPE MULTICOLORE SE DISSIPANT COMME
DE LA FUMÉE LÉGÈRE SANS FAIRE D’IMPACT SUR LE PLANCHER
IL SORT DE SA MANCHETTE UNE BONNE DOUZAINE
D’OEUFS QUI LUI SERVENT DE DÉJEUNER
TANDIS QUE LE JOURNAL GRIS
S’ENVOLE DE SES MAINS COMME UN PIGEON VOYAGEUR
LUI S’IL EN A ENVIE IL EST CAPABLE DE SE COUCHER
MÊME SUR LE PLAFOND POUR Y DORMIR
AU MATIN IL SE RÉVEILLE TOUT RAVIGOTÉ
S’IL BÂILLE DES AMPOULES ALLUMÉES
SE METTENT À PLEUVOIR DE SA BOUCHE
QUELQUEFOIS POURTANT IL EST PÉNIBLE D’ÊTRE MAGICIEN
QUAND IL MET SON CHAPEAU
IL EST CERTAIN QU’UN LAPIN OU UN CHAT
LUI TOMBERA SUR LA TÊTE
LA GRAPPE DE RAISIN QU’IL VEUT SAISIR
SE PULVÉRISE EN DU SUCRE MOULU
DÈS QU’IL VOUDRAIT SE MOUCHER C’EST UNE MONTRE
QUI TIQUE-TAQUERA DANS SA MAIN À LA PLACE DU MOUCHOIR
IL POURRAIT COMMETTRE CENT FARCES FARFELUES
MAIS N’EN COMMET AUCUNE: VICTIME
DE SA PROFESSION IL FABRIQUE DES MIRACLES
ROI MIDAS APATHIQUE

LE PAPIER

(A PAPÍR)

QUELQU’UN AU VERSO DU PAPIER
CONDUIT MA PLUME
AVEC LA SIENNE AU BEC AIMANTÉ
SON ÉCRITURE N’EST NI PLUS BELLE
NI PLUS LAIDE QUE CELLE DE QUICONQUE
LA MIENNE PAR EXEMPLE
SES LETTRES SONT CONVEXES COMME S’IL ENVOYAIT
SES MISSILES À DES AVEUGLES

LE POEME PERDU

(AZ ELVESZETT VERS)

LÀ-BAS, NAGUÈRE, AU-DELÀ DE LA FENÊTRE,
LE LAC DE PALICS ENCHEVÊTRAIT SA FRONDAISON
ET MURISSAIT DANS SON VENTRE SES LOURDS FRUITS
DE CAILLOUX,
TANDIS QUE, DANS LA CHAMBRE, UNE AIGUILLE D’HORLOGE
OU QUELQU’INDEX ME DÉSIGNAIT
POUR MARQUER MON TEMPS ET MA PLACE.
MAINTENANT, ICI, LES CHATS EN RUT MIAULENT
COMME DES BÉBÉS ABANDONNÉS DANS UN TERRAIN DÉSERT,
ET L’ENFANT, EN BOULE, TEL UN CHAT RASSASIÉ,
DORT SUR LA TERRASSE.
AU BOUT DE MA CIGARETTE, UN SOLEIL EN BRAISE,
LA CENDRE DES OMBRES GRANDIT,
ET, DANS LA CHAMBRE,
DANS LE FEUILLAGE ENCHEVÊTRÉ DE MANUSCRIT,
AU VERSO D’UNE LETTRE,
LE POÈME PERDU SE CACHE.

CIVILISATION

(CIVILIZÁCIÓ)

NOUS BUVONS DE L’EAU CHAUDE
COLORÉE D’HERBES
COLLONS DU PAPIER PEINT
SUR NOS MURS
DÉTACHONS CHAQUE SOIR
DE NOS GENCIVES
LES GOUTS EVEC UNE PÂTE DOUCEÂTRE
AUX DEUX COTÉS DES AUTOROUTES
BANDE D’INDIENS IVRES
LA NATURE TITUBE

LA TRANSPARENCE

(AZ ÁTLÁTSZÓSÁG)

LA TRANSPARENCE AVANCE COMME
UNE COLONNE DE MERCURE
SOUS LA TERRE
NI MURS NI PIERRES
NE PEUVENT ARRÊTER CETTE FIÈVRE
CRISTALLINE QUI MONTE SANS CESSE
ELLE EST CERNÉE D’OPACITÉ
QUI L’ATTRAPE AU VOL ET LA SOULÈVE
TENDREMENT POUR LA PROTÉGER
ET LA RELÂCHER SAINE ET SAUVE
DÈS QUE TU OUVRES
LE ROBINET

YEUX

(SZEMEK)

CE QUE VOIT L’OEIL GAUCHE
CE QUE VOIT L’OEIL DROIT
NE S’HARMONISENT POINT:
DEUX PROIES EN COURSE
DANS LES CERCLES D’UNE LONGUE-VUE
DEUX IMAGES QUI SE REJOIGNENT PUIS S’ÉLOIGNENT
SUIVANT LES MOUVEMENTS DE MANIVELLE
DE CELUI QUI DRESSE EN TOI LA FATIGUE

LES JOINTURES DU LAMBRIS

(A FALBURKOLAT)

LES JOINTURES DU LAMBRIS
ET DU PARQUET SONT EXACTES
QUATRE FAUTEUILS SE TROUVENT ASSIS
AUTOUR DE LA TABLE CARRÉE
EST-CE QUE LES LIGNES DE LA BOÎTE D’ALLUMETTES
OUBLIÉE EN DIAGONALE SUR LA TABLE
PEUVENT-ELLES RENVERSER L’ESPACE?

JE SAIS

(TUDOM)

JE SAIS QU’À CHAQUE FOIS QUE J’OUVRE
LA PORTE, J’ÉCARTE UN COIN DE LA CHAMBRE.
J’AI BEAU L’APPELER, IL RESTE CACHÉ,
SE BLOTTIT, MAIS DÈS QUE JE FERME
LA PORTE, ON L’ENTEND QUI, EN S’ÉBROUANT, ABOIE
COMME LES CHIENS DERRIÈRE QUELQUE GRILLE.
TU VAS TOUJOURS
(MINDIG A)

TU VAS TOUJOURS DEVANT LE COURANT D’AIR,
TU PRÉPARES SES CHEMINS,
COMME S’IL ÉTAIT UN MEMBRE DE FAMILLE
QUI N’A PAS ENCORE VU TON LOGIS
OU BIEN QUELQU’UN QUI VOUDRAIT
L’ACHETER;
DE SON PARCOURS TU ÉLOIGNES TOUTE OBSTACLE,
TU ÉCARTES LES BRANCHES DES OBJETS,
TU FAIS VALSER LES GLÈBES PAR DES COUPS DE PIED,
TU ES CONVAINCU D’AVOIR TOUT ARRANGÉ,
OUVERT LA PORTE DU FRIGO,
ENLEVÉ, DU BORD DU RAYON DE LIVRES,
UNE TRAÎNÉE DE POUSSIÈRE
QUE TU FROLES ENSUITE ENTRE LES DOIGTS
COMME DE LA FARINE OU DE LA COCAÏNE;
TU AS LUI MONTRÉ MÊME LES TOILETTES, LA SALLE DE BAIN,
PEUT-ÊTRE A-T-IL SES BESOINS OU BIEN VOUDRAIT-IL
SE LAVER LES MAINS DEVENUES
TOUTES CRASSEUSES AU-DEHORS,
TU ES DONC TOUT HÉBÉTÉ AU MOMENT
OÙ, CLAQUANT LA PORTE DERRIÈRE LUI,
IL S’EN VA, AGACÉ.

DÉSIR ALLER-RETOUR

(VÁGY-ELLENVÁGY)

T’ÉTOUFFENT CES QUATRES PAROIS
LA VASTE NUIT T’ATTEND LÀ-BAS
TU SORS DONC EN COMPTANT TES PAS
MAIS QUE PASSE-T-IL CHEZ TOI
TE VOICI DONC RENTRÉ DÉJÀ
(DA CAPO)

TRADUCTIONS DE GEORGES TIMAR

MOUVEMENTS CONTRAIRES

(MOZGÁS-ELLENMOZGÁS)

A CHAQUE FOIS QUE JE PRENDS L’AVION,
ON DÉMOLIT UNE VILLE ENTIERE
DES MURS ANTIQUES GEIGNENT DOULOUREUSEMENT
A CAUSE DE MON SILENCE MEURTRIER
DE SALLES D’ATTENTE
DES OUVRIERS ARRIVENT, SE METTENT AU TRAVAIL,
BRULENT DES HABITS, DES OBJETS PERSONNELS,
ILS ASSEMBLENT TOUT CE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE
POUR LA VIE DES GENS DE LA-BAS, ET QUI EST
DEVENU SUPERFLU APRES MON DÉPART:
PARTOUT DES AMAS INUTILES D’OBJETS DIVERS,
DES MULTITUDES DE ITS, DE TABLES; PARTOUT DES
CHEMINÉES QUI S’ÉCROULENT – LE MOSAIQUE
DES MURS D’APPARTEMENT, RECOUVERTS DE DIFFÉRENTS
PAPIERS PEINTS DISPARAIT PROGRESSIVEMENT.
A CHAQUE FOIS QUE JE PARS, UNE VILLE MEURT DE CHAGRIN.
MAIS EN CE MOMENT-LA, UNE AUTRE VILLE,
CELLE DE MA DESTINATION, EST DÉJA EN CONSTRUCTION:
ON APPROFONDIT LE LIT DES RIVIERES, BRICOLE DES FORTIFICATIONS,
POUR MON PLAISIR, ON REMONTE A L’AIDE DES GRUES
DES ÉGLISES MÉDIÉVALES, ON POLIT LES ESCALIERS DE MARBRE,
COMME S’ILS ÉTAIENT USÉS PENDANT DES SIECLES
PAR DE MILLIERS DE PAS HUMAINS, ET LE RELIEF EN CUIVRE DES EX-VOTOS
LUIRA, DORÉE, LA OU LES MAINS CARESSANTES
ET LES BOUCHES DÉVOTES AURAIENT LAISSÉ LEURS TRACES.
LES AUTORITÉS INFORMENT LES FIGURANTS AUTOCHTONES:
ILS DEVRONT TOUS FAIRE MINE DE NE PAS M’APERCEVOIR,
DE NE PAS COMPRENDRE MA LANGUE,
ET ME DONNER DES RENSEIGNEMENTS
D’UN AIR BIENVEILLANT, D’UNE MANIERE MINUTIEUSE,
PARCE QUE C’EST UN DIGNITAIRE ASSOIFFÉ D’EXOTISME,
ÉVITANT TOUT PROTOCOLE QUI ARRIVE: LE MOI.

GOUTTE D’ABSOLU

(ABSZOLÚT ÍZLELÉS)

A LUCIEN NOULLEZ

ÉCRIRE, LIRE LE PAYSAGE.
T’INSCRIRE, TE LIRE DANS LE PAYSAGE.
REGARDER LES NUAGES AU-DESSUS DE TOI.
NON PAS PARCE QUE BEAUCOUP D’AUTRES
NON PAS PARCE QUE PEU D’AUTRES
LES REGARDENT.
CE REGARD N’A RIEN À VOIR
AVEC BEAUCOUP NI AVEC PEU.
ATTENDRE QUE CET AU-DESSUS
S’INSCRIVE, SE LISE
DANS TON ICI-BAS.
ET C’EST MAINTENANT
QUE LA PREMIÈRE GOUTTE DE PLUIE
S’INSCRIT, SE DISSOUT DANS TON VIN.
C’EST MAINTENANT QUE TU LIS,
QUE TU GOÛTES SON MESSAGE.

TURQUOISE

(ENCIÁN)

LES GÉOLOGUES ONT PRIS DES ÉCHANTILLONS
DU SOL DANS LA FORÊT, TEL ÉTAIT LEUR TRAVAIL,
MAIS AU FOND DU LIT D’UN RUISSEAU,
SOUDAINEMENT, ILS SONT TOMBÉS SUR
DES MINERAIS D’UN BLEU VIOLENT, INCONNU
ILS EN ONT RAMASSÉ AMPLEMENT ET REVENDU
UNE BONNE QUANTITÉ,
LES BONS GENS EN ACHETAIENT
L’EMPORTAIENT COMME DU SUCRE
L’UN DES EXPERTS PAR CURIOSITÉ
A TOUT DE MÊME BRISÉ L’UN DE CES MICAS
HISTOIRE DE VOIR CE QUI SE CACHAIT DEDANS
IL A TROUVÉ UN MORCEAU D’EXCRÉMENT DE BREBIS –
QUELQUES SUBSTANCES MINÉRALES
SE CRISTALLISAIENT APPAREMMENT
AUTOUR DE CETTE MATIÈRE
DIS-MOI, N’EST-CE PAS AUTOUR
DE LA FIENTE QUE LE RÉEL
LAISSE TOMBER SUR SON CHEMIN
QUE NOUS CONSTRUISONS
L’ÉTRANGE TURQUOISE
DE NOS POÈMES?

CINÉMA ITALIEN

(OLASZ MOZI)

LÀ RIEN DE SAUVAGE,
RIEN D’EXTRAORDINAIRE,
DANS LA FAÇON DONT
EN UN VIEUX FILM ITALIEN
(POURQUOI JUSTEMENT ITALIEN ?)
MA FEMME ET MA FILLE
S’ÉLOIGNENT EN SE TENANT PAR LA MAIN
– ITALIEN PEUT-ÊTRE À CAUSE
DU MOUVEMENT DE CLOCHE
DÉJÀ FÉMININ
DE LA LONGUE ROBE BLEUE DE LA PETITE FILLE
AUTOUR DE CE CORPS DE CINQ ANS
ELLES S’EN VONT ACHETER DU SUCRE,
ELLES EN RAPPORTERONT CINQ KILOS
QUANTITÉ INIMAGINABLE,
ET SOIXANTE FLEURS DE SUREAU,
TOUTES SANS PUCERONS
AFIN QUE DU GRAND CHAUDRON DE SEIZE LITRES
DONT ON VERSERA LE CONTENU
DANS DES BOUTEILLES
DONT ON AURA ENLEVÉ LES ÉTIQUETTES
ET QU’ON FERMERA
AVEC DU LIÈGE ET DE LA CIRE,
NOUS, CONTREBANDIERS DE L’ÉTÉ,
PUISSIONS SAUVER L’OR CONDENSÉ
ET OPALESCENT
POUR ÉCLAIRER L’HIVER

LES ARNOLPHINI

(AZ ARNOLFINI-HÁZASPÁR)

LA PLUIE FINE DU FOND DE CE TABLEAU
NOUS SOUDE L’UN À L’AUTRE.
PENDANT LA NUIT J’AI DES DOULEURS D’ACCOUCHEMENT
ET TU CORRIGES DES ÉPREUVES À MA PLACE.
ET NOUS NE SAVONS PLUS LEQUEL DE NOUS DEUX
ÉTAIT LE TÉMOIN DE TELLE OU TELLE HISTOIRE,
NOUS NOUS DISPUTONS VIOLEMMENT
EN DÉFENDANT LA VÉRITÉ DE L’AUTRE.
DEPUIS UN CERTAIN TEMPS NOUS AVONS
LES MÊMES GOÛTS, C’EST PAR ON
NE SAIT QUELLE TÉNACITÉ OBSCURE
QUE JE CONSOMME DES CHOSES NUISIBLES,
QUE JE MANGE DES PLATS ÉPICÉS,
QUE JE BOIS DU CAFÉ, ET AU LIEU DU DÉO AUX HERBES
JE M’ASPERGE
AVEC UN SPRAY FOR MAN.DU VIN
ET QUE JE FUME DES CIGARETTES SOURNOIS
COMME UN ADOLESCENT.
ET PARFOIS UN DÉSIR S’EMPARE DE MOI
JE VOUDRAIS AVOIR
UNE ODEUR QUI M’APPARTIENNE
COMME TOUS LES CHIENS EN ONT

HERBIVORES

(NÖVÉNYEVŐK)

IL N’EST POINT ÉTONNANT QUE NOUS CONVOITONS
LES VÉGÉTAUX BULBEUX
DONT LA FORME PLEINE DE JUS ÉVOQUE
LES PROTUBÉRATIONS SÉDUISANTES DU CORPS HUMAIN
CET ÉROTISME INNOCENT ET VÉGÉTAL NOUS ATTIRE
AINSI LE VOL FATAL DU BANANE BALLISTIQUE
LE DÉVOUEMENT DE L’ORANGE
QUI S’EFFILOCHE DANS L’AMOUR
LA MORT RAPIDE DU RADIS ROSE
CE KAMIKAZE ENGLOUTI DANS NOTRE BOUCHE
MAIS POUQUOI EST-CE QU’ON MANGE
LES PARTIES VÉGÉTALES RABOUGRIES
POURQUOI EST-CE QUE JE MÂCHAIS TOUJOURS
ENTHOUSIASTE LA DOUBLURE BLANCHE OUATÉE
DE LA PEAU DE L’ORANGE, POUQUOI AI-JE
CHERCHÉ LONGUEMENT PARMI LES PÉTALES
DE LA FLEUR DU FAUX ACACIA LA MINUSCULE
STIGMATE, POURQUOI DÉVORE-T-ON
OSEILLES ET PERSIL, ÉPICES ET HERBES?
QUELLE EST LA CAUSE DE
CETTE AVIDITÉ GOURMANDE?
ET QUI EST-CE QUI TENTE VENGER
LA MORT DE SES CONFRÈRES EN COMBATTANT
LE GENRE FÉROCE DES HERBIVORES?
SEULES LES PLANTES CARNIVORES.

CE QUI S’ÉVAPORE

(ILLAN EL)

DEBOUT DANS LE JARDIN, AVEC
DANS TES BRAS LE BÉBÉ QUI SE PENCHE
SUR TOI ET NE S’EN ÉLOIGNERA
QUE PLUS TARD, PEU À PEU.
DANS LE JARDIN QUI SE PENCHE
SUR TOI ET NE S’EN ÉLOIGNERA
QUE PLUS TARD, PEU À PEU.
REGARDER COMMENT L’ACACIA TENACE
QUI EXPULSE LES AUTRES ARBRES
BALANCE SES ÉTUIS DE CUIR DUR
PLEINS DE GRAINS ET SES GRAPPES
DE PETITES FEUILLES COULEUR VERT POISON,
À STRUCTURE SYMÉTRIQUE.
CECI, ICI.
LE VENT VENANT DU DANUBE
ÉVEILLE L’ODEUR
DU FEU DEVENU CENDRE.
DEBOUT, COMME LA FOURCHE ENFONCÉE DANS L’HERBE
COMME LA HACHE DANS UN TRONC, COMME
LE COIN DANS LE MANCHE DE LA
HACHE, COMME LES RACINES
DES ARBRES DANS LE SABLE.
TU AS JOUÉ AU FOOT LES PIEDS NUS,
TU AS UNE INFIME BLESSURE SOUS LE PIED,
QUI SAIT CE QUI CIRCULE, CE QUI
À TRAVERS CETTE FENTE S’ÉVAPORE
DE LA TERRE DANS TON CORPS, DE TON CORPS
DANS LA TERRE?

DEUX MÉTHODES
A ÉTIENNE PRESSAGER

SI TU VEUX LIBÉRER LA STATUE
ACCROUPIE AU FOND D’UN ARBRE
TU PEUX CHOISIR ENTRE DEUX MÉTHODES
L’UNE EST LENTE, L’AUTRE RAPIDE,
L’UNE ARTIFICIELLE, L’AUTRE ORGANIQUE

OU BIEN TU DOIS SCIER LE TRONC ENCORE
PLEIN DE SÈVE, LE LAISSER SÉCHER SOUS UN AUVENT,
PUIS COUPER LES DEUX BOUTS LÉZARDÉS,
ÉCORCER LE RESTE, DÉGROSSIR LA FORME,
PUIS UTILISANT DES COUTEAUX ET DES BURINS
DE PLUS EN PLUS FINS, TU DOIS ÉCARTER
DES DIZAINES DE SCULPTURES DE PLUS EN PLUS
PETITES, TAILLÉES AU HASARD;
ET QUAND TU AURAS LIMÉ ENCORE
DES MILLIERS DE STATUES MINUSCULES
À L’AIDE DE PAPIER DE VERRE, TU VERRAS ENFIN
LE FRUIT DE TON TRAVAIL DEVANT TOI,
SURFACE LISSE, AGRÉABLE AU TOUCHER

OU ENCORE ALLUME UN BÛCHER DANS LE JARDIN,
POSE DESSUS UNE BÛCHE
ELLE EN DEVIENDRA DE PLUS EN PLUS MINCE
DANS LES FLAMMES PUIS ROUGEOYANTE
ET SI TU AS DE LA CHANCE,
TU TROUVERAS LE MATIN PARMI LES CENDRES
UNE FORME À PEAU VELOUTÉE
CALCINÉE, DÉFINITIVE ET NOIRE

DEUX PARALLELES

(KÉT PÁRHUZAM)

1.
DANS LA BIBLIOTHÈQUE, DERRIÈRE LE CRÉPI,
UN MUR DE LIVRES ILLISIBLES SE CACHE
ET LES FILAMENTS ÉLECTRIQUES DES LETTRES
CAPTENT CHALEUR ET FROID

SUR LES RAYONS UNE RANGÉE DE BRIQUES
EN TERRE CUITE IMPOSSIBLE À FEUILLETER
– À L’INTÉRIEUR DE CES CUBES, DES SOUVENIRS
DE PAYSAGES EMPORTÉS PAR LES RIVIÈRES D’ANTAN,
LEUR COULEUR ROUSSIE PAR LE FEU
EST SEMBLABLE À CELLE D’UN VISAGE
QUI S’EST PENCHÉ (POUR RÉFLÉCHIR OU S’Y JETER?)
AU-DESSUS DE L’EAU.

2.
LES BOÎTES À LETTRES SONT AUTANT DE RUCHES,
L’APICULTEUR Y PLONGE CHAQUE JOUR
DE NOUVEAUX GÂTEAUX DE CIRE,
ICI OU LÀ PAR LA FENTE
UNE LETTRE S’ENVOLE EN BOURDONNANT.

LES RUCHES SONT AUTANT DE BOÎTES À LETTRES,
L’ÉCRITURE BOURDONNANTE S’ACCUMULE AU-DEDANS
POUR FAIRE MÛRIR LES PHRASES
DU TEXTE QU’ON GLISSE DANS UNE ENVELOPPE
– ENFIN NOUS POURRONS LIRE LE MIEL.

CHEVAUX DE CHAMBRE

(SZOBALOVAK)

DES CHEVAUX MÉLANCOLIQUES REGARDENT AU DEHORS
À TRAVERS LA FENTE DES RIDEAUX
LEURS TÊTES SONT VERTES
LEUR COU PAS PLUS LARGE QU’UN DOIGT
LEURS CORPS ENTERRÉS DANS UN POT
L’AUBE DESSINE DES TACHES DE BUÉE
SUR LES CARREAUX AUTOUR DE LEURS NARINES
ET ILS MÂCHONNENT
DES DENTELLES TISSÉS D’OR
QUELQUES FRANGES LÉGÈRES
ET DRESSENT LES OREILLES
POUR ENTENDRE SI DANS LA CHAMBRE
BOUGE LE PIED D’ÉLÉPHANT DES MEUBLES
SI LES LIVRES BATTENT DES AILES
SI LES PANTOUFLES HÉRISSONS
FLAIRENT LES FEUILLES MORTES DU TAPIS
MAIS JAMAIS ILS NE RETOURNENT
LEURS TÊTES DE PLOMB IMMERGÉES
DANS LES PROFONDEURS DES RACINES
D‘UN LONG GALOP INFINI

SOUS LA CASCADE

(A ZUHATAG ALATTT)

A JÚLIA, MA FEMME

MAINTENANT TU LÈVES TON REGARD
VERS L’IMMENSE MASSE TRANSPARENTE
QUI SE JETTE SUR TOI
ET CHASSANT DE TES NARINES TOUTE ODEUR,
ARRACHANT DE TES GENCIVES TOUS LES GOÛTS,
ENLEVANT DE TA PEAU
TOUS LES TOUCHERS DE JADIS,
ARRÊTANT LES AIGUILLES DE TA MONTRE
CETTE INCOMPRÉHENSIBLE ABONDANCE T’ENVELOPPE.

OEUF DE MOINEAU

(VERÉBTOJÁS)

PRENDS DONC UN OEUF DE MOINEAU
ENROULE-LE DANS UN MORCEAU DE FEUTRE
ET GLISSE-LE PRUDEMMENT DANS TA POCHE
MAIS APRÈS ÇA IL NE FAUT JAMAIS Y METTRE
DE LA MONNAIE NI UN TROUSSEAU DE CLEFS NI UN CANIF
NI FAIRE DES GESTES TROP LARGES DE TA MAIN
NI COURIR POUR ATTRAPER LE BUS
NI MONTER DANS UN WAGON
OÚ IL Y A TROP DE MONDE

O VILLES

(Ó VÁROSOK)

O VILLES QUI GRATTEZ LE CORPS
DES CIEUX NAGEANT TOUT EN HAUT
TOUTES VOS TOURS SONT TROP AIGUËS
VOS ANTENNES – AUTANT DE SERINGUES – INJECTENT
LE LIQUIDE TRANSPARENT ET ÉTRANGER DE LEURS ONDES
DANS LE BRAS DE L’ESPACE QUI SE GONFLE
ET BLEUÂTRE S’ENFLAMME CHAQUE SOIR

ASSISES

(RÉTEGEK)

SOUS LES ASSISES DE L’ESPACE
LE LIMON DES PAS ET DES GESTES
SE SUPERPOSE
COUCHE APRÈS COUCHE
LES ARÊTES DES REGARDS HUMAINS
SCRUTANT LE CIEL
PERCENT LA PREMIÈRE COUCHE
LA DEUXIÈME EST PÉTILLANTE
À CAUSE DES VOLS D’OISEAUX.
LA TROISIÈME C’EST DE LA MOUSSE
AVEC UN POINT D’ÉCLIPSE:
AIGLE PERDU
MOUCHE NOYÉE DANS LA CHOPE.

GASTRONOMIE

(GASZTRONÓMIA)

LA CUILLÈRE ARRACHE
DES FLAQUES BOUILLONNANTES
D’UN MARAIS VERDÂTRE
LE COUTEAU DÉCOUVRE
DES ASSISES DE ROC
PLUS OU MOINS DOCILES
LE VOL D’HIRONDELLE DE LA FOURCHETTE
PORTANT SON FARDEAU PLUS OU MOINS PESANT
NE S’ARRÈTE JAMAIS ENTRE LA PORCELAINE
ET L’ÉMAIL DES DENTS
LA GRAPPE DE RAISIN
POSÉE SUR UNE ASSIETTE
EST EN MOUVEMENT PERPÉTUEL:
ELLE JONGLE AVEC DES BALLES TRANSPARENTES
INTEMPORELLEMENT

JOINTURES

(ILLESZTÉKEK)

1
VOILÀ COMME CES FEUILLES DENTELÉES
DE FOUGÈRE S’ACCORDENT PARFAITEMENT
ZIGS ET ZAGS SE JOIGNENT À MERVEILLE
ET CES DENTELLES MINUSCULES
LES MAINTIENNENT ENSEMBLE PLUS FORT
QUE N’IMPORTE QUELLE COLLE

2
IL EST UN PEU PLUS DIFFICILE
D’ARRIMER DEUX MAINS PLATES
EN CAOUTCHOUC CAR LES DOIGTS
RIDÉS GONFLÉS (PÉNINSULES
INSOUMISES) NE SE SUPPORTENT PAS
ET NE SE MARIENT QU’AVEC PEINE

3
SEIGNEUR DES JOINTURES PROTÈGE DONC
L’HOMME À LA MAIN ÉCORCHÉE
QUI ARRIME DES PLANCHES BLESSÉES
DE CLOUS POUR EN FAIRE DES TAUDIS
L’HOMME AU VISAGE NON RABOTÉ
QUI PASSE LA DANS LE BRUME
EN MANTEAU BRUN
QUE LES FILS ARGENTÉS DE TON HALEINE
L’ENVELOPPENT DE LEUR SOIE
POUR QU’IL S’ENFERME PUIS SE LIBÈRE
DE CE MONDE DE SON COCON

NAGEUR

(ÚSZÓ)

UN NAGEUR COUD LA SURFACE DU LAC
AIGUILLE VIVANTE DANS UN TISSU D’EAU MORTE
APRÈS SON PASSAGE LA MATIÈRE SE REFERME
MAIS LE SOUVENIR SE PROLONGE ET TE BLESSE

L’HOMME D’ÉTÉ

(A NYÁRI EMBER)

L’HOMME D’ÉTÉ EST VRAIMENT SANS DÉFENSE
SEULS QUELQUES MORCEAUX DE TISSU LÉGER
FLOTTENT AUTOUR DE SON CORPS
LES RELIEFS DE SES MUSCLES
ET DE SES DOCUMENTS SE DESSINENT À TRAVERS EUX
L’HOMME D’ÉTÉ EST VRAIMENT SANS APPUI
PAS D’ARMES POUR LE PROTÉGER
IL N’EST PAS CADENASSÉ
SON OMBRE N’AYANT PLUS DE MAÎTRE
EST SON ÉPÉE

MOURIR

(MEGHALNI)

ON APPRENAIT À MOURIR EN REGARDANT DES FILMS:
SECOUÉS PAR DES RAFALES DE MITRAILLETTE IMAGINAIRES
TELS DES MARIONETTES,
LA POITRINE VALSANTE, LES GENOUX FLÉCHISSANTS,
NOUS NOUS DÉBATTIONS DANS LA POUSSIÈRE,
GEIGNANT, VOMISSANT TOUT NOTRE SANG INVISIBLE,
COMME LES COMÉDIENS AGONISANTS
QUI CRACHAIENT CHAQUE FOIS
DES FLAQUES DE KETCHUP.
COMBIEN DE FOIS NOUS FAISIONS
CES EXERCICES DE LA MORT VIOLENTE!
MÊME SI NOUS ÉTIONS APPELÉS À MOURIR DANS UN
LIT D’HÔPITAL AVEC DES TUYAUX
QUI NOUS PENDAIENT DES BRAS, OU À
FAIRE UNE CHUTE DANS LA SALLE DE BAINS
INERTES COMME DES SACS DE FARINE,
NOUS CONNAISSIONS DÉJÀ LA ROUTINE,
NOUS DEVIENDRIONS
DES MORTS ABSOLUMENT PROFESSIONNELS.

LE MONDE EN PAPIER COLLÉ

(RAGASZTOTT VILÁG)

LE MONDE ENTIER EST EN PAPIER COLLÉ
UNE AVERSE QUELCONQUE L’EMPORTE
BÂTIR DES MAISONS C’EST JOUER AUX CUBES
JEU PUÉRIL POUR ADULTES
LE RONFLEMENT DU VOISIN
TRAVERSANT LA MOUSTIQUAIRE
EST UNE SCIE AUX DENTS DE DIAMANT:
IL SURVIT AUX COLONNES DE BÉTON
À LEUR PÂTÉ VASEUX
VEINÉ DE FILS DE FER
IL N’EST QUE TROIS CHOSES
QUI SOIENT SOLIDES ET DURABLES:
CLOCHE DE VERRE, BULLE D’AIR, COQUILLE D’OEUF
NOTRE GLOBE N’EST Q’UN GOAL ÉLÉGANT
ARRIVÉ À LA QUATRE-VINGT-DIXIÈME MINUTE
ET QUI DANSE – BEDAINE DE BIÈRE –
DANS LE FILET D’UN VESTON LÉGER
TOUT EST ILLUSOIRE SAUF LE FOULARD DE SOIE
DE L’EAU ISSUE D’UNE SERINGUE
QUI SE DISSOUT DANS LE SOLEIL
SAUF LE RIRE S’ÉPARPILLANT RICANANT
ÂGÉ DE DEUX ANS

DEVENU COMME CA

(ILYEN LETTEM)

DEVENU COMME ÇA, JE N’AI AUCUN
OBJET DANGEREUX
À SORTIR DE MES POCHES,
RIEN QUE DES KLEENEX
ENDUITS DE COLLE,
QUELQU’UN ME FROISSE
TOUT LE TEMPS DANS SA POCHE,
AINSI QUE LA FUMÉE QUI SE FROTTE, QUI SE TORD:
LES TROUS GRANDISSENT SANS CESSE,
LE TISSU SE RÉTRÉCIT.
ET MON CORPS PLIÉ ET REPLIÉ
QUI S’EFFILOCHE:
MAIS ÇA FAIT DU BIEN, OUI, DE S’USER
D’UNE FAÇON SI PROSAÏQUE

L’ÉTÉ QUI PALPITE TOUT AUTOUR

(KÖRÜL A SEBKÉNT LÜKTETÕ NYÁR)

L’ÉTÉ QUI PALPITE TOUT AUTOUR
COMME UNE PLAIE OUVERTE, ET LUI
QUI VIENT PRÈS DES ARBRES, DES PALISSADES,
LE SOLEIL LUI COLLE DES MASQUES AU VISAGE
IL EST IMPOSSIBLE DE PARLER DE LA VIEILLESSE,
SI L’ON EN PARLE, C’EST DÉJÀ TOUT AUTRE CHOSE
MA GRAND-MÈRE QUI ROTIT
L’ÉPONGE EN PLACE DE LA VIANDE, QUI MANGE
DISTRAITEMENT UNE FLEUR DANS LE VASE,
SES JAMBES QUI SE GONFLENT, SES VÊTEMENTS
AYANT UNE FORTE ODEUR D’URINE:
DES ANECDOTES, MAIS POINT DE RÉALITÉ
QUI NOUS ENCERCLERAIT
LE RÉEL, C’EST LUI SEUL,
JADIS QUI A TOURNÉ LE COIN
DE LA RUE ESTIVALE ET S’APPROCHE TOUJOURS
TOURNENT LES MEULES DE LA LUMIÈRE,
ÉTINCELLE SA FACE

COMPLAINTE DES MÉTÈQUES DANS LA RUE

(JÖTT-MENTEK UTCAI SIRÁMA)

1.
JE TRADUIS DES POÈMES ÉTRANGERS
DE LANGUE ÉTRANGÈRE À LANGUE ÉTRANGÈRE,
UN MÂT ÉTRANGER TRANSPERCE ICI LA LUNE TOUTE ÉTANGÈRE,
UN VENT ÉTRANGER CHASSE TOUT ODEUR FAMILIER DE MA VESTE,
JE HUME L’ODEUR D’ÉPICES DES ÉTREINTES ÉTRANGÈRES,
JE PARIE QU’IL N’Y AVAIT JAMAIS
PERSONNE DE PLUS ÉTRANGER QUE MOI
À S’ÊTRE ASSIS SUR CETTE MÊME PIERRE
DES CLOUS ÉTRANGERS SURGISSENT
DES PLANCHES ÉTRANGÈRES DU PORT,
MES SENTIMENTS MES SOUPÇONS MES PENSÉES
AUTANT D’EXPLOSIFS TREMPÉS GÂCHÉS

2.
DES POISSONS ÉTRANGERS GARDENT LEUR SANG-FROID
ET DES CAILLOUX MUETS SOUS LEURS LANGUES ÉTRANGÈRES,
MOUSTACHES ÉTRANGÈRES, AU-DESSUS DES BOUCHES BLÊMES,
SOURIRES ÉTRANGES, SI TU AS DES PROBLÈMES,
LES ESCARPOLETTES SE BALANCENT SOUS DES FESSES ÉTRANGÈRES
ICI L’EAU TOMBE TOUT COMME AILLEURS, MAIS EN JETS ÉTANGERS,
PRÈS DES FOYERS ÉTRANGERS DE MILLIERS DE PÈRES
ÉTRANGERS QUI ENGENDRENT LEURS ENFANTS ÉTRANGERS
ET CELUI QUI LES ÉPIE PAR LES FENÊTRES ÉTRANGÈRES
PEUT VOIR QU’ÊTRE ÉTRANGER EST CHOSE TRÈS NATURELLE
– NATURELLEMENT POUR CEUX QUI SONT DES ÉTRANGERS LOCAUX,
MAIS SI L’ON N’EST QUE CRASSE OU TACHE AUX PLACES PUBLIQUES,
MÊME SES VÊTEMENTS LUI SONT ÉTRANGERS
ET PENDENT DE SON CORPS: CADEAUX EMPOISONNÉS,
VENUS DES CONTINENTS ÉLOIGNÉS.

LES JUMELLES

(IKREK)

QUE DIRE DE CES DEUX JUMELLES?
QUE C’EST UN ENFANT VRAIMENT BEAU?
OU QUE CE SONT DES ENFANTS VRAIMENT BEAUX?
QU’ELLES PORTENT DONC DES VÊTEMENTS DIFFÉRENTS,
AINSI ON LES IDENTIFIE MIEUX !
QUE L’UNE D’ELLES TOMBE DANS LES BROUSSAILLES ÉPINEUSES
ET QU’IL EN RESTE UNE CICATRICE
BIEN VISIBLE SOUS LES YEUX
QUE L’ON TIRE LES OREILLES DE L’UNE
QUI RESTERONT ENSUITE DÉFORMÉES
QU’ELLE ROULE SES R UN PEU SPÉCIALEMENT
OU QU’ELLE ZÉZAIE
QU’ELLE PORTE SES CHEVEUX AUTREMENT OU LES TEIGNE
QU’ELLE PORTE DES TALONS, DES BOUCLES
MAIS L’AUTRE JAMAIS
LE SOUPÇON SEUL QUE C’EST L’UNE OU L’AUTRE,
LE PRESSENTIMENT QUE L’ARC DES SOURCILS…
QUE LA COURBE DU NEZ…
OU PLUTOT QUE LES DEUX ENSEMBLE…
NE SUFFIT DÉCIDÉMENT PAS
IL FAUT ÊTRE DIFFÉRENT À TOUT PRIX

ÉCLIPSES

(FOGYATKOZÁSOK)

SI MA BOUCHE DEVIENT SOURDE
ET LES GOUTS DES CARTOUCHES À BLANC,
JE DEVRAIS METTRE LA CIGARETTE DANS MES OREILLES
ET LA BROSSE À DENTS DANS MON NEZ
SI MES OREILLES DEVIENNENT AVEUGLES
OU SI UN SILENCIEUX S’Y COLLE,
JE DEVRAIS ÉCOUTER AVEC MES YEUX
LE BRUIT SOURD DES OBJETS QUI TOMBENT
SI MES YEUX, ANESTHÉSIÉS,
NE PEUVENT PLUS RIEN TOUCHER,
JE DÉCHIFFRERAI LA FLAMME
EN PERCEVANT SON GRÉSILLEMENT DE BRAISE,
SES TOURBILLONS DE FUMÉE
SI MES DOIGTS N’Y VOIENT PLUS,
JE PRENDRAI DES LUNETTES
POUR MIEUX FLAIRER LA CONSISTANCE,
LA FERMENTATION DES CHOSES

LA MONTAGNE DE MUSIQUE

(NAGY, ZENE)

DEBOUT AU PIED DE LA MONTAGNE DE MUSIQUE
TU DOIS PELLETER LES ÉBOULIS
QUI RETOMBENT DE SUITE
C’EST COMME SI TU VOULAIS REJETER
L’EAU DE PLUIE DANS LE CIEL
PARFOIS TU T’APPUIES SUR LE MANCHE
POUR RETIRER UNE ÉCHARDE À TON DOIGT
OU CREVER UNE AMPOULE,
LE REGARD PERDU SUR UN HORIZON
QUE PERSONNE D’AUTRE NE VOIT
TU OUVRES SUR TES GENOUX
UN PETIT PAQUET D’ALIMENTS
QUI DIMINUE SANS CESSE
IL Y A TOUJOURS QUELQUE MUSIQUE,
QUOIQU’ICI PAS DE CONTREBASSISTE
LUTTANT AVEC SON ENCOMBRANT INSTRUMENT
L’ENCERCLANT DE SES BRAS, NI DE FLUTISTE,
MARIONETTE AGITÉE SOUS UN BÂTON D’ARGENT,
PAS MÊME UN PIANISTE QUI POURRAIT ENTASSER
NI ÉTALER LES ÉCLATS DE PORCELAINE BRISÉE
RIEN D’AUTRE ICI QUE LE SUINTEMENT
PRESQU’IMPERCEPTIBLE DES FILTRES
DE CES HAUT-PARLEURS GÉANTS

ORDRE – DÉSORDRE

(REND – NEM REND)

IL EST IMPOSSIBLE QUE L’ORDRE SUBSISTE
MAIS NON MOINS IMPOSSIBLE QUE LE DÉSORDRE DURE:
REGARDE LE BUREAU, CET AMAS D’OBJETS DIFFÉRENTS,
SI TU ENLÈVES UN LIVRE, C’EST COMME
ÉCORCHER VIF LA TABLE, LES PAGES ADHÉRÉES
SE TORDENT POUSSANT DES SOUPIRS
ET LE MORCEAU DE PAPIER GLISSÉ ENTR’ELLES
SE DÉCOLLE DOULOUREUSEMENT COMME UN SPARADRAP.
PEUX-TU METTRE DE L’ORDRE DANS CE CHAOS,
PEUX-TU DISPERSER CET ORDRE EN CHAOS?

R. G. C.

(R.G.C.)

RENÉ GUY CADOU, MON FRÈRE,
TU ÉTAIS LE PREMIER À FAIRE
LE TOUR DU MONDE EN DEUX PAS
ET LE VENT ZIG-ZAGUAIT
ENTRE LES BOUTONS DE NACRE
DE TA CHEMISE, TU AS PORTÉ
UN ANNEAU MOULÉ DE SANG LOURD
AUTOUR DE TON COU COMME UN INDIGÈNE,
LES OBJETS LEVÉS T’ONT FAIT MAL,
QU’IL S’AGISSE DU COUTEAU OU DU CALICE,
MON FRÈRE CENT FOIS PLUS QUE CELUI
DONT LE MASQUE EN CAOUTCHOUC
A ÉTÉ RECOPIÉ DU MIEN
MAINTENANT TU COLORES L’ESPACE AUTOUR DE MOI
D’UN FIN MOUVEMENT DE GRAVEUR ET TES AILES:
DEUX LOBES DE POUMON RONGÉS…

LA HARPE DU ROI DAVID

(DÁVID KIRÁLY HÁRFÁJA)

J’AI PORTÉ MON GRAND-PÈRE SUR MON DOS
COMME UN SAC DE FROMENT OU UN SAC DE CIMENT,
SON CORPS ÉTAIT UN TREILLIS ÉCROULÉ
IL A OUBLIÉ À L’HOPITAL UNE BONNE QUINZAINE
DE KILO DE MUSCLES, ON A EU BEAU FOUILLER
SON SAC DE NYLON
JE LUI AI APPORTÉ UN RASOIR, MAIS
C’ÉTAIT TROP TARD, LA GRÈLE
DE SA BARBE TOMBAIT, TOMBAIT
MAIS L’AVERSE NE L’A MALGRÉ TOUT PAS NOYÉ:
SES DOIGTS NOUEUX, HABITUÉS À COURBER LE FER,
SAISISSENT LES FILS FRÊLES ET ÉPHÉMÈRES,
IL S’Y AGRIPPE ET MONTE
– JOUEUR DE HARPE CÉLESTE, SILHOUETTE OSSEUSE

SI TU ENTRES

(HA LIFTBE)

SI TU ENTRES DANS L’ASCENSEUR
DANS UNE CHAMBRE UNE CABINE TÉLÉPHONIQUE
OU QUELQU’UN A PASSÉ
UN CERTAIN TEMPS AVANT TOI
TU VOUDRAIS LUI RENDRE
CE QU’IL A LAISSÉ LÀ UN COLIS
UNE DEMI-PAIRE DE GANTS UN BLOC-NOTES
MAIS TU NE TROUVES QU’UN PEU D’AIR USÉ
QU’IL A FAIT PASSER PARMI SES CHEVEUX
SES HABITS SES POUMONS
TU VOUDRAIS LE LUI RENDRE: IMPOSSIBLE

ENVELOPPE

(BUROK)

UNE ENVELOPPE MOLLE
M’ENTOURE
SE RIDE AUTOUR DE MOI
COMME UN HABIT TROP LARGE
JE M’ASSIEDS ELLE S’AFFALE SUR LA CHAISE
ET TEL UN BALLON FLASQUE
PEND DE PART ET D’AUTRE
DEUX PRISONNIERS ENCHAÎNÉS L’UN À L’AUTRE
NOUS MARCHONS EN TITUBANT
ET TOUTE LA NUIT
ENFANT PRÉCOCE
JE ME DÉBATS
JE TOURNE ET RETOURNE DANS TON VENTRE

DU CANOTAGE

(AZ EVEZÉSRÕL)

LE LAC DE SZENC ÉTAIT UN AVANT-GOUT INFINI
BIEN QUE TROP DOUCEÂTRE DE LA MER –
MAIS DU SEL, IL Y EN AVAIT À LA CUISINE
POUR NOURRIR L’IMAGINATION
FINALEMENT TOUTE CETTE EAU N’ÉTAIT
QU’UNE GOUTTE DE SALIVE, GUILLEMET DEVANT
LE MOT ”MER”, QUOIQUE AVEC DES DÉCORS PARFAITS:
DES JETÉES, DES CYGNES, UNE ÎLE
LA FAMILLE ÉTAIT ASSISE DANS UN CANOT
ET J’AI EU LE DROIT DE BAIGNER UN PEU LES RAMES:
CADEAU QUE JE N’AVAIS PAS MÉRITÉ,
MES SEULES MÉRITES CONSISTANT À AVOIR
MES ONZE OU DOUZE ANS VENUS SANS EFFORTS,
HOLÀ, LA VITESSE M’A MONTÉ À LA TÊTE
MAIS LE CIEL S’EST SOUDAIN COUVERT,
MON PÈRE, BATELIER DE JADIS
AU BORD DE LA DANUBE, A REPRIS LES AVIRONS
DANS LE VENT ANNONCANT L’ORAGE
QUI FAISAIT CLAQUER LES SACS LOURDS DE LA HOULE
INDIGNÉ, RÉVOLTÉ QUE J’ÉTAIS, MON ORGUEIL BANDAIT
MES MUSCLES D’ADOLESCENT: BEAUCOUP DE BRUIS
POUR RIEN ET D’AILLEURS JE VALAIS , MOI AUSSI,
UN SOI-DISANT BATELIER
UNE BONNE QUINZAINE D’ANNÉES PLUS LOIN
AUJOURD’HUI J’ATTENDS EN VAIN
QUE QUELQU’UN PRENNE LES RAMES
PARFOIS À MA PLACE

LA DOUCEUR DU FARDEAU

(A TEHER ÉDESSÉGE)

MON TRAVAIL À L’AUBE FINI AVANT DE ME COUCHER
JE REGARDE PAR LA FENÊTRE
MON VOISIN PART EN VÉLO DEVANT ET DERRIÈRE IL A
DES PANIERS VIDES FIXÉS SUR LES PORTE-BAGAGES
ET QUAND JE ME LÈVE À L’AUBE
POUR ACCOMPAGNER MON FILS À L’ÉCOLE
JE REGARDE PAR LA FENÊTRE
MON VOISIN REVIENT EN VÉLO DEVANT ET DERRIÈRE IL A
DES PANIERS VIDES FIXÉS SUR LES PORTE-BAGAGES
ENTRE LES DEUX ÉTAPES L’ABSENCE
DU FARDEAU PORTÉ À TERME
ENTRE LES DEUX ÉTAPES LA DOUCEUR
DU FARDEAU PORTÉ À SA FIN
C’EST LE SOMMEIL RECROQUEVILLÉ COMME UN CHAT
C’EST LE RYTHME DE LA MACHINE QUI ME BALANCE
ET LES ASSISES DE MON TEMPS DE REPOS
SONT DE MOINS EN MOINS NOMBREUSES
AVEC CHAQUE JOURNAL QUI S’ENVOLE

NON, RIEN, VRAIMENT

(SEMMI, CSAK IKSZ)

NON, RIEN D’AUTRE, VRAIMENT:
DEMANDER UN VERRE D’EAU MINÉRALE
QUI COUTE ‘CHAIS PAS COMBIEN DE SOUS,
DEUX FOIS RIEN DONC, CADEAU GRATUIT
DE NOTRE TERRE, GAZÉFIÉ D’AIR GRATUIT,
OU BIEN DEMANDER UN VERRE VIDE,
MÊME PAS UN VERRE,
S’ASSOIR À UNE TERRASSE, REGARDER,
NON, SANS ÊTRE ASSIS, REGARDER PASSER
AU CIEL LES GORGÉES DE BIÈRE BUES
HÂTIVEMENT, SANS PLAISIR ET QUI
CHASSENT DES MORCEAUX
DE COTON DES CIGARETTES FUMÉES
VOMIR PEUT-ÊTRE, DOUCEMENT, SANS RAISON,
JUSQU’À CE QU’ON RENDE TOUT,
JUSQU’À CE QU’ON SE RENDE,
ET À TRAVERS SA BOUCHE, COMME LION QUI TRAVERSE
LE CERCEAU FLAMBOYANT, LE CORPS RETOURNÉ COMME UN GANT,
PART POUR UNE AUTRE EXISTENCE

TRADUCTIONS DE L’AUTEUR
NÉ EN 1971 À BUDAPEST, LE POÈTE HONGROIS JÁNOS LACKFI A PUBLIÉ LA PREMIÈRE VOLUME DE SES POÉSIES À L’ÂGE DE VINGT ET UN ANS (1992, PRIX GÉRECZ POUR LE MEILLEUR PREMIER RECUEIL POÉTIQUE DE L’AN). DEPUIS, QUATRE AUTRES RECUEILS ONT VU LE JOUR ET UN SIXIÈME EST À PARAÎTRE. IL A PUBLIÉ DEUX RÉCITS EN 2002. A REÇU LA BOURSE SOROS POUR SON OEUVRE POÉTIQUE (1998), LES PRESTIGIEUX PRIX ATTILA JÓZSEF (2000) ET TIBOR DÉRY (2001), AINSI QUE LE PRIX DU CONCOURS VÖRÖSMARTY (2001) ET DU CONCOURS INTERNATIONALE SALVATORE QUASIMODO (2002). TRADUCTEUR DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE, IL A PUBLIÉ QUINZE RECUEILS DE TRADUCTIONS, A OBTENU LE PRIX ILLYÉS DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRE DE PARIS ET DU PEN CLUB HONGROIS POUR SES TRADUCTIONS (1998). RÉDACTEUR DE LA REVUE LITTÉRAIRE MONDIALE NAGYVILÁG. ENSEIGNE DEPUIS SIX ANS À L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE BUDAPEST (PPKE) LA POÉSIE FRANCAISE ET LA TRADUCTION LITTÉRAIRE. A ÉCRIT SA THÈSE DE DOCTORAT SUR LA POÉSIE HONGROISE DU DÉBUT DU XX. SIÈCLE.
UN CHOIX DE SES TEXTES TRADUIT PAR L’AUTEUR, LORAND GASPAR, SARAH CLAIR, ET GEORGES TIMAR A PARU CHEZ TAILLIS PRÉ (CHÂTELINEAU, BELGIQUE) EN 2002. LORS DE L’ANNÉE DE LA CULTURE HONGROISE EN FRANCE (MAGYART), IL A DONNÉ PLUSIEURS LECTURES À PARIS ET À NICE.